Ar Marc’h Dall
Cette question, Job an Irien et René Abjean se la posaient déjà il y a quarante-trois ans, quand est sortie la Cantate du cheval aveugle... Ar Marc'h Dall. A l'époque, l'œuvre, interprétée par l'Ensemble choral du Bout du Monde et le groupe des frères Quefféléant, An Triskell, sous la direction du compositeur, avait fait forte impression. La puissance conjuguée des textes, de la musique et des chants ne pouvait pas laisser indifférent. Plus de quarante ans plus tard, Ar Marc'h Dall revient, toujours aussi insoumis, toujours aussi impétueux, toujours aussi tempétueux... Le casting a changé, et il sera impossible de citer ici tous les intervenants, tant ils sont nombreux. Près d'une centaine, parmi lesquels l'Orchestre Symphonique de Bulgarie, dirigé par Deyan Pavlov, le chœur d'hommes corse L'Arcusgi, un grand nombre de musiciens bretons, parmi lesquels les percussionnistes du Bagad Kemper, et de chanteurs, Gilles Servat, Véronique Autret, Elise Desbordes, Perynn Bleunven... et beaucoup d'autres.
Quatre ans après la sortie de Kan ar Bed, Arnaud Elégoët et les éditions Bannoù-heol déploient à nouveau de grands moyens pour un second livre-CD tout aussi bluffant. Ar Marc'h Dall, c'est un cri. Un chant de révolte. Un chant d'espoir aussi. Car Job an Irien ne mâche pas ses mots : "N'out ket mui merc'hig da vamm ! (Tu n'es plus la petite fille de ta mère !)" lance-t-il en guise d'ouverture, s'adressant à la Bretagne, mais surtout aux Bretonnes et Bretons, et reprenant le fil des constats que l'on pouvait dresser dans les années 1970... Indigné... "Tu t'es revêtue des oripeaux d'un autre", ajoute-t-il. L'abandon de la langue, l'histoire, engloutie avec la ville d'Ys, les puissances funestes de l'argent, l'exil forcé de la jeunesse... Pourtant se dessine, au fil des couplets, un autre monde, d'où aura disparu la malédiction rouge - ar mallozh ruz. L'espoir d'une Bretagne renaissante. Le CD est accompagné d'un recueil qui livre les paroles de la cantate et leur traduction française, mais aussi l'histoire de cette nouvelle version et de son enregistrement. Avant de conclure sur un constat, amer, que font tous ceux qui se battent pour la survie de la langue bretonne : les pouvoirs publics continuent de "ruzer" des pieds à son égard, freinant délibérément, sabotant parfois, toutes les avancées arrachées de haute lutte... Le combat doit continuer, car en réalité, la Bretagne sera ce que les Bretonnes et les Bretons voudront bien en faire...
Pierre Morvan