La foi bretonne
Originaire de Bodilis, le prêtre et infatigable aumônier notamment des écoles Diwan, a passé sa vie à transmettre la foi en Dieu, mais aussi son attachement à la langue et à la civilisation bretonnes. Assis à la table de la cuisine du foyer chrétien bretonnant de Minihi-Levenez, à plus de 80 ans, il se souvient du contexte dans lequel il a écrit "Ar Marc'h Dall" (Le Cheval Aveugle) : "J'avais le sentiment que ce à quoi je tenais, la langue et la culture bretonnes, était de plus en plus mis au rencard, qu'on jetait le bébé avec l'eau du bain. Je ne voyais pas au nom de quoi le lit-clos sculpté que j'avais découvert au fond de la carrière n'était pas au moins aussi beau que le Formica. Pourquoi cette moquerie et ce sentiment de supériorité chez ceux qui venaient voir les beaux restes de ce qui avait été une culture bretonne ? Au fur et à mesure, je voyais le renforcement de la vague francisante s'opposer à mes valeurs. C'est pour ça que j'ai écrit cette cantate, comme un cri. Avec "Ar Marc'h Dall", mon ambition était de dire qu'on ne pouvait pas en rester là, que nous avions quelque chose à apporter au monde. A l'époque, certains m'ont dit : Tu crois qu'avec tes paroles, tu vas changer quelque chose ? Certaines personnes m'ont pourtant dit qu'elles devaient au Cheval Aveugle de s'être réveillées".
Comme pour Pierre-Jakez Hélias, c'est de l'enfance qu'est venue la figure du cheval. Mais la comparaison s'arrête là. Car le Marc'h Dall de Job an Irien n'est pas résigné. Il se libère au fil de l'oeuvre, mu par une puissante envie de vaincre et de convaincre. "J'ai passé mon enfance à la ferme, à Bodilis. J'avais un cheval qui ne voyait presque pas mais qui était très attentif à la voix. IL avait un caractère très doux et c'est comme s'il pensait avant d'agir. Je l'aimais beaucoup et il reflétait pour moi une certaine image de la Bretagne. A la fois docile mais animé d'une énergie extraordinaire."
Si "Ar Marc'h Dall" nous touche autant, c'est aussi parce que ce texte est tout à la fois une réflexion sur l'identité, l'histoire, le matérialisme du monde moderne et l'importance de la nature qui n'a rien perdu de son actualité. "Si c'était à refaire, je ne changerais pas une ligne", explique Job an Irien. "Beaucoup ont encore une honte intériorisée par rapport à la langue et à la culture bretonnes. Aujourd'hui, beaucoup ont conscience d'un trésor qui nous est propre mais qui n'a pas le droit d'exister."
Un "lien de fraternité"
"Je pense qu'en Bretagne, la foi est davantage marquée par un sentiment de fraternité. Cela remonte loin dans l'histoire, à la manière dont s'est faite l'évangélisation par les monastères", poursuit celui qui a aussi été moine à Landévennec. "D'ailleurs, je pense que le renouveau des petits pardons est la preuve de l'importance de ce lien de fraternité". Dans ses nombreuses chroniques, Job an Irien n'hésite pas du reste à prendre des positions tolérantes sur le mariage des prêtres, l'homosexualité ou l'inégalité entre les sexes. "Ca ne sert à rien de transmettre la théologie de manière dogmatique, comme nous l'avons apprise. Si l'Evangile n'apporte aucune libération, alors nous sommes à côté de la plaque.Il faut créer de nouveaux liens avec les gens. Si j'ai organisé beaucoup de voyages dans les pays celtiques, c'est pour ressentir cette fraternité, qui est pour moi essentielle. Chez nos cousins celtiques, on rencontre des gens dont se sent frères tout de suite. J'ai trouvé chez eux une même sensibilité, ces pays ont vécu comme nous une certaine colonisation et, comme nous, ils essayent de maintenir en vie leur culture. A leurs côtés, on se sent beaucoup plus fort."