Arnaud Elégoët, éditeur pour la jeunesse bretonnante
Arnaud, peux-tu nous dire comment tu es devenu brittophone ?
J'ai commencé à apprendre le breton quand j'étais en 4ème au collège Saint-Joseph de Landerneau. Un cousin plus âgé m’avait poussé à faire ce choix car cette matière lui plaisait beaucoup. Mon père, enseignant de breton m’a, sans doute, influencé également. J'ai poursuivi l'apprentissage jusqu'en classe de terminale puis j'ai passé une licence par correspondance quelques années plus tard. Cependant, je ne me considère pas particulièrement comme "brittophone engagé".
Parmi les différentes manières d'agir pour la langue bretonne, pourquoi l'édition ?
J'ai travaillé durant quelques temps dans un collège bilingue en tant qu'enseignant d’éducation musicale. J'avais été surpris de voir le petit nombre d'ouvrages disponibles en breton pour les adolescents au CDI. Je m'étais dit qu'il serait intéressant, à mon humble niveau, d'essayer d'étendre le choix. Je pense aussi que l'oeuvre réalisé par An Here m'a donné envie de faire la même chose car j'étais très admiratif du travail que Martial Ménard et son équipe avait réussi à faire dans l'édition en breton.
Qu'est-ce que Bannoù-heol ?
C'est une association créée en 1999 qui a pour objet l'édition d'ouvrages en breton pour la jeunesse notamment. A ce jour, plus de trente ouvrages sont parus. Les principales collections traduites vont de Leo & Popi, Petit Ours Brun à Thorgal, Titeuf ou Boule & Bill. Nous diffusons également les DVD produits par Dizale. A l’origine, il ne s’agissait que des dessins animés qui avaient été doublés pour TV Breizh. Depuis, le choix s’est élargi puisque nous proposons, par exemple, depuis quelques semaines, une version bretonne du Cheval d’orgueil (Marc’h al lorc’h) d’après le film de Claude Chabrol. Des épisodes de Columbo sont également disponibles ou encore l’affaire Seznec d’après les téléfilms d’Yves Boisset.
Bannoù-heol est membre de Kuzul ar Brezhoneg. Que trouve-t-on en s'associant à d'autres et notamment d'autres éditeurs ?
Un interlocuteur, un soutien et une aide (mise en page, promotion, envoi de colis etc...), ce qui n'est pas négligeable. Quand j'ai débuté, j'étais seul à m'occuper de Bannoù-heol et le fonctionnement était relativement lourd à gérer. Ma participation est bénévole depuis le début mais le bénévolat a ses limites... Aujourd'hui, je peux également compter sur des traducteurs (Maurice Hamon, Tudual Audic, Gwenole Bihannig...) qui sont aussi de précieux soutiens tout comme l'office de la langue bretonne depuis le début. Bannoù-heol peut aussi participer aux décisions de KAB qui est la de plus importante coordination associative fonctionnant en breton pour la langue bretonne...
Bannoù-heol travaille surtout dans le domaine du livre pour enfants et de la BD. Les raisons de ce choix ?
La première fois que j'ai vu des livres en breton (Tintin & Spot) quand j'étais jeune, ça m'a marqué : j'ai trouvé que cela donnait enfin une image moderne de notre langue. C'est sans doute pour cette raison que j'ai souhaité continuer dans cette voie quelques années plus tard. Je trouve que, d'une manière générale, le breton est souvent trop lié au passé, aux traditions, etc... Mon souhait était, à mon niveau, d’essayer de donner une image actuelle de la langue bretonne en proposant Titeuf par exemple.
Et celui de la priorité à la traduction ?
Le marché est tellement étroit qu'il est difficile, à mon avis, de créer en langue bretonne. Les ventes de BD qui connaissent énormément de succès en français comme Titeuf ou Boule & Bill ne se vendent pas à plus de 1000 exemplaires, en général, en breton. Lorsque l’on travaille avec une grande maison d’édition comme Dargaud ou Glénat, les éditeurs originaux nous proposent une co-édition : nous profitons d’une réimpression en français, en anglais ou autre pour nous y greffer, ce qui permet de limiter les coûts d’impression.
On voit parfois des élèves associés aux traductions. Comment cela se passe-t-il ?
A plusieurs reprises, pour Titeuf et Leo & Popi notamment, des enseignants m'ont proposé de faire travailler leurs élèves sur des projets de traduction. Etant enseignant moi-même, j'ai trouvé cette idée intéressante dans la mesure où les élèves travaillent pour l'édition d'un livre : c'est du concret. Leur traduction ne restera pas seulement dans leur cahier, et c'est, à coup sûr, plus motivant. C'est aussi une belle image : des jeunes brittophones qui traduisent pour des générations futures. Le travail de traduction est mené en classe. Pour un album de Titeuf, Gwenole Bihannig avait donné une planche à traduire à chaque élève. Une mise en commun poursuivait ce travail dans le but d’améliorer en groupe la traduction.
Les oeuvres que Bannoù-heol édite sont souvent des oeuvres connues (Thorgal, Titeuf, Boulig ha Billig, Leo ha Popi, Tom-Tom ha Nana, Arzhig Du...). Comment se passent les négociations avec les "grands éditeurs" ?
Elles sont toujours très simples et les relations sont excellentes depuis le début. La première fois que j’avais contacté Dargaud, je pensais me faire refouler au téléphone car je doutais qu’une si grande maison d’édition soit intéressée par mon projet d’édition de Boule & Bill en langue minorisée, synonyme de faible tirage. Aujourd'hui, ce sont même elles qui me proposent l'édition de nouveautés ! Hélas, les ventes sont trop réduites pour Bannoù-heol. Je ne peux éditer tout ce qui m'est proposé.
Quels sont les principaux problèmes qui se posent une fois l'accord obtenu ? La fabrication ? La diffusion ?
Je n'ai jamais connu de problèmes avec les maisons d'édition originales, bien au contraire. C'est plutôt la diffusion en Bretagne qui pose problème. Dans les librairies, les ouvrages en langue bretonne sont cachés la plupart du temps, voire inexistants. Il avait été question que le conseil régional subventionne une cinquantaine de librairies afin que celles-ci acceptent de mettre en évidence le fonds breton. Je trouvais cette idée intéressante. A ma connaissance, ce projet a été abandonné.
Que faudrait-il à tes yeux pour aider l'édition en langue bretonne ?
Faire en sorte que les ouvrages en breton soient visibles en librairie ! C'est la priorité des priorités à mon avis.
Question rituelle. Tu es jeune, quels conseils donnerais-tu à un jeune brittophone sur ses choix d'études et d'engagement professionnel ?
A vrai dire, je doute plus de l'avenir du breton aujourd'hui qu'il y a quelques années. La France n'a toujours pas ratifié la charte européenne des langues régionales, le nombre d'élèves en classes bilingues a du mal à progresser du fait de blocages administratifs de tous ordres. La Bretagne ne dispose toujours pas de chaîne de télévision bilingue. D'une manière générale, je trouve que les brittophones ne s'ouvrent pas suffisamment. Un exemple ? Pourquoi les parents d’élèves des écoles Diwan proposent, en général, des festoù-noz de soutien plutôt que des concerts de rap ou de reggae ? Pourquoi toujours associer la langue à la musique traditionnelle ? Malgré les promesses de Jean-Yves Le Drian, les émissions en langue bretonne sur France 3 n'ont pas augmenté depuis son élection à la tête de la région en 2004... J'ai aussi l'impression que la majorité des Bretons, si elle se dit favorable à l'avenir du breton, n'est pas prête à s'investir pour cet avenir. J'espère vivement me tromper ! Et il faut tout de même reconnaître qu’il existe des débouchés pour métiers en langue bretonne : l’enseignement, les médias, le journalisme notamment…
Propos recueillis par Herve Latimier